Télétravail: le boom des salariés au foyer

 

 

Travailler dans le brouhaha d’un openspace, faire des journées entrecoupées de réunions... Certains ont décidé de rompre cette routine épuisante et de quitter le bureau quelques jours par semaine pour un lieu de travail plus familier: leur maison.

 

Rafaël s’installe à la table de sa salle à manger. Il est 9 heures, c’est un jour de semaine, pourtant le jeune homme de 28 ans n’est pas en vacances. Sa salle à manger est son lieu de travail un jour par semaine. Il allume son ordinateur portable et consulte sa boite email, comme il doit le faire trois fois par jour.

 

Un moyen pour l’administration dans laquelle il travaille de vérifier que Rafaël est bien actif pendant sa journée. Et pour lui, de sortir de l’ambiance du bureau et de structurer son temps de travail pour ne pas qu’il déborde sur sa vie privée.

 

Comme lui, de plus en plus de salariés adoptent ce mode de vie. Les entreprises sont séduites.

 

D'après l’enquête « Nomadisme, bien-être et performance: quel bilan en 2014? » publiée le 15 décembre dernier, 60% des entreprises du CAC40 l’ont expérimenté ou ont signé un accord. Et 85% des salariés et 66% des directeurs des ressources humaines (DRH) considèrent ce nouveau mode d'organisation comme un progrès.

 

 

Les conversations autour d'un café irremplaçables

 

Sentiment d’urgence permanent, interruptions fréquentes, baisse de la concentration, surcharge d’informations... La généralisation des openspaces ces vingt dernières années et le développement rapide des technologies de l’information et de la communication ont, de manière générale, détérioré les conditions de travail.

 

Le télétravail, en donnant une plus grande autonomie d’organisation, permet de donner une respiration aux travailleurs et d’éviter la surcharge intellectuelle.

 

 

Selon l’enquête annuelle “Télétravail et conditions de vie. Les fondements de la réussite” conduite depuis 2011 par Yves Lafargue, chercheur fondateur de l’Observatoire des conditions de travail et de l’ergostressie (OBERGO), 90% des personnes interrogées reconnaissent une amélioration de leur qualité de vie personnelle.

 

«Il donne un sentiment de liberté , décrit Yves Lafargue. Quand la durée de travail est rallongée, c’est de manière volontaire, car les salariés sont plus motivés et peuvent s’organiser comme ils veulent ».

 

Comme Rafaël, Tana a signé un avenant de télétravail à son contrat pour un jour par semaine. Il y a quatre ans, l’entreprise de cet informaticien belge a proposé à ses cadres de télétravailler dans des bureaux satellite ou télécentres plus proches de leurs domiciles.

 

Tana a accepté, les conditions de travail étaient les mêmes avec moins de temps de transport. Encore mieux, quelques mois après, l’entreprise l’autorise à faire son jour de télétravail chez lui.

 

Tana est satisfait de sa situation. « Tout le monde est gagnant. Je suis plus productif, plus concentré. Ma journée n’est pas interrompue par des réunions. » L’informaticien de 34 ans a choisi de télétravailler le vendredi.  « Ça me donne 3 jours en dehors de l’environnement de travail. »

 

Même si le télétravail lui plaît, Tana estime que le contact humain de l’entreprise est essentiel. « Les conversations à la machine à café n’ont pas d’équivalent. »

 

Mieux travailler pour travailler mieux

 

Tout concourt aujourd'hui au développement de cette forme organisationnelle du travail. Elle concerne deux fois plus de personnes qu’il y a dix ans. Les entreprises françaises s’y intéressent car en donnant de meilleures conditions de travail aux salariés, elle permet une plus grande productivité. 

 

 

A l’échelle européenne, l’apport moyen en productivité a été évalué à 25%, selon Philippe Planterose, président de l’Association française du télétravail et des téléactivités. Une aubaine pour les entreprises qui tentent de sortir de la crise économique, et qui sont sensibilisées à la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE).

 

Ces salariés risquent-ils de rompre le lien social avec leurs collègues, avec l’entreprise en travaillant chez eux? « Le risque de désociabilisation est un faux risque, répond Yves Lasfargue. Bien que nous l’ayons craint pendant plusieurs années, les études nous montrent aujourd’hui que cette désociabilisation n’a pas lieu. » C’est dû notamment au fait que les contrats de télétravail ne sont que très peu à temps plein à domicile.

 

Ce n’est qu’à partir de 3 jours par semaine télétravaillés que le salarié voit son lien avec l’entreprise et les collègues se distendre. Par ailleurs le lien social avec l’extérieur, les voisins, la famille, les amis, est renforcé grâce au temps libéré par les temps de transport évités.

 

Un contrat de confiance

 

Parfois au contraire, le lien avec l’entreprise s'en trouve renforcé. « Le télétravail implique un nouveau rapport au travail et un nouveau modèle managérial fondé sur la confiance et l’autonomie, explique un rapport de 2012 du Ministère de l’Industrie

 

Pour que le télétravail se passe sereinement, un rapport de confiance doit s’établir entre l’employé et son manager. « Le supérieur s’intéresse aux conditions de travail des subalternes. Les travailleurs sont beaucoup plus attachés à leur entreprise », explique Philippe Planterose.

 

Mais comment mesurer la productivité du télétravailleur? Le modèle de calcul de résultats par objectifs, très prisé dans les pays anglo-saxons, est repris par les boîtes de conseil françaises spécialisées dans le télétravail. Les salariés peuvent s’organiser comme ils veulent tant qu’ils remplissent les objectifs fixés au préalable.

 

Tana apprécie cette flexibilité. « Grâce au management par objectifs, mes supérieurs m’accordent une plus grande confiance. Par exemple, si j’ai une obligation personnelle je peux rester travailler chez moi en dehors de mes jours habituels. Ce qui compte, ce sont les résultats que je fournis. »

 

Comment faire pour contrôler que les télétravailleurs ne végètent pas chez eux, ou n’en profitent pas pour faire autre chose? Les serveurs de certaines entreprises effectuent des contrôles automatiques pour vérifier que le salarié est bien actif. Des systèmes de pointage existent aussi mais restent peu développés.

 

Pour être optimal, le télétravail doit être fait dans certaines conditions. Le cabinet de conseil Greenworking, spécialisé dans le bien-être au travail, aide les entreprises et leurs salariés à mettre en place des accords de télétravail. « Nous accompagnons les entreprises qui sont en expérimentation, explique Cécilia Durieu, codirectrice du cabinet. Nous les aidons à négocier avec les partenaires sociaux, nous formons les RH et les managers pour voir comment adapter le télétravail au travail d’équipe»

 

Greenworking organise aussi des formations individuelles pour conseiller les salariés dans leur organisation personnelle: comment gérer la porosité entre sa vie professionnelle et sa vie privée, comment spécialiser ses temps de travail, comment organiser son espace etc.

 

« Il existe une période d’adaptation simple à gérer et nécessaire, décrit Philippe Planterose, président de l’AFTT. Cette période permet de faire évoluer positivement l’entreprise, et l’organisation managériale. »

 

Pour Cécilia Durieu, l’issue est toujours la même: « tous les bilans qu’on a pu réaliser ont été positifs»

 

Rafaël et Tana sont de ces adeptes. S’ils ne se verraient pas travailler à domicile à toute leur semaine, ils espèrent bien « pouvoir continuer le télétravail le plus longtemps possible ».

 

 

 

Aude Massiot

 

Mot-clé(s): 

Thématique(s):