Améliorer le management des hôpitaux : une urgence

Demande de soin croissante et budgets publics à la baisse. Une optimisation du fonctionnement du secteur hospitalier est indispensable. Avec son équipe, Thierry Nobre, professeur des universités en sciences de gestion et directeur du laboratoire de recherche Humanis de l’EM Strasbourg, a mis en évidence des innovations managériales fécondes susceptibles d’être dupliquées pour sortir de la seringue.

 

1) Entretien avec Thierry Nobre

2) Réformer sans braquer : quatre innovations à la loupe

 

 

 

Entretien avec Thierry Nobre

 

Vous êtes un des spécialistes français de la gestion hospitalière. Quelles sont les principales difficultés auxquelles les établissements de santé doivent faire face aujourd’hui ?

 

L’enjeu principal est d’arriver à améliorer la prise en charge des patients dans un contexte budgétaire extrêmement contraint. Le gouvernement a annoncé un plan d’économie de 10 milliards d’euros dans le domaine de la santé, dont 2 milliards concernant spécifiquement le secteur hospitalier. De telles économies ne seront pas réalisables sans remise en cause de certains modes de fonctionnement. L’hôpital français souffre en particulier d’une organisation en silo, par services spécialisés, cloisonnés, avec des hiérarchies qui opposent souvent médecins, administratifs et personnels soignants.

 

Cette structure est dysfonctionnelle et freine les évolutions rendues possibles par les nouvelles technologies médicales. Aux États-Unis par exemple, les trois quarts des actes chirurgicaux ont désormais lieu sans hospitalisation, en ambulatoire, alors qu’en France, seulement 40 % des patients bénéficient d’une telle prise en charge. Les frais hospitaliers sont donc plus élevés, sans gain significatif en termes de santé publique, et avec une qualité moindre pour le patient. Des marges de progression importantes existent dans ce domaine.

 

 

Plusieurs réformes ont été votées ces dernières années pour améliorer l’organisation. En vain ?

 

Depuis le milieu des années 1980, on demande aux hôpitaux d’élaborer des « projets d’établissement » afin de formaliser et structurer leur politique. Les Agences régionales de santé exigent des projets de plus en plus construits. Mais ceux-ci s’appuient encore trop rarement sur de véritables études des besoins à l’échelle des territoires. La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » adoptée en 2009, a permis d’améliorer quelque peu le système de gouvernance, mais l’insuffisance des analyses menées en amont rend l’exercice de direction assez formel.

 

 

Les conflits entre administratifs et médecins sont-ils toujours aussi vifs ?

 

Jusqu’en 2005, une commission médicale d’établissement s’exprimait au nom des médecins, et le directeur prenait en compte ses avis, ou non. Les tensions étaient souvent très fortes. Ont été créés à cette date des « pôles » regroupant plusieurs services sous la responsabilité élargie de médecins. J’ai coordonné un ouvrage sur le sujetLe Management des pôles à l’hôpital, Dunod Éditions, 2013. Sous la direction de Thierry Nobre et Patrick Lambert.. La réforme va dans le bon sens, mais des problèmes importants demeurent. Les médecins responsables des pôles sont toujours nommés par les directeurs, ce qui pose question. Par ailleurs, ils entendent le plus souvent continuer à exercer une activité clinique intense, ce qui ne leur donne pas une disponibilité suffisante. La grande majorité d’entre eux ont une formation au management très réduite, compte tenu des responsabilités qu’ils doivent assumer. De plus, ce nouveau système remet profondément en cause les modes de fonctionnement des équipes de direction. Ce n’est guère étonnant si les résultats ne sont pas encore au rendez-vous.

 

 

 

Réformer sans braquer

 

Thierry Nobre et ses confrères décrivent dans L’Innovation managériale à l’hôpital 14 innovations repérées dans des établissements pilotes, susceptibles de faire évoluer le management hospitalier sans révolution. Zoom sur quatre d’entre elles.

 

 

 

PARIS (HÔPITAL LES QUINZE-VINGTS)

➜ Mise en concurrence avec l'extérieur

La situation aux Quinze Vingts était bloquée depuis des années. Une restauration de mauvaise qualité, à des prix élevés
pour la collectivité. Aucune mission de conseil
 n’avait pu améliorer la situation.  Pour sortir de l’impasse, une équipe interne a mené un benchmarking, établi
 un cahier des charges et
 lancé un appel d’offres externe. Cette démarche 
a servi d’électrochoc. De
 manière inattendue, le
 service restauration a pris 
son destin en main et décidé 
de répondre à l’appel d’offres. Sa proposition a été choisie. En l’espace de cinq mois, les progrès ont été spectaculaires.

 

 

BORDEAUX (CHU)

➜ Un groupement d'intérêt économique pour développer la recherche

En Aquitaine et à l’initiative du CHU de Bordeaux, un groupement d’intérêt économique baptisé Accelence, a été créé pour favoriser le développement des essais cliniques à vocation industrielle. Le GIE a instauré un guichet unique, facilitant l’accès aux établissements de santé. Le nombre potentiel de patients concernés a été augmenté grâce à des liens avec la médecine de ville. Des actions de promotion concertée ont attiré de nouveaux industriels. Les prestations scientifiques et médicales ont été mieux valorisées.

 

BESANÇON (CHU)

➜ Des formations communes pour apprendre à travailler ensemble

À l’initiative du centre hospitalier universitaire de Besançon, un Institut de formation des personnels de santé a remplacé en 2011 l’ensemble des écoles spécialisées du secteur: pour les kinésithérapeutes, les infirmiers, les cadres de santé... Le nouvel institut propose des cursus spécifiques, mais avec des modules de formation communs, afin de développer le travail collectif et la pratique de conduite de projets transversaux chez ces professionnels appelés à collaborer tout au long de leur vie professionnelle.

 

 

GRASSE (HÔPITAL)

➜ Un cabinet de conseil interne

Imaginée à l’hôpital de Grasse, la Cellule d’Efficience et d’Organisation (CEFOR) accueille les propositions d’améliorations. Au cours de réunions mensuelles, cette cellule reçoit les porteurs de projets, les aide à faire progressivement mûrir leurs propositions, émet un avis argumenté sur leur faisabilité et leur opportunité. La CEFOR est composée à la fois de médecins, de responsables de l’administration, de cadre de santé et de représentants des fonctions de support stratégiques de l’hôpital, ce qui facilite la création de zone de consensus. Fonctionnant en mode projet, elle travaille dans des délais relativement courts, accompagne ensuite et contrôle la mise en œuvre des innovations sélectionnées.

 

 

 

 

Fusions-acquisitions : le secteur médico-social en ébullition

 

Une réduction drastique du nombre d’associations est dans l’air du temps. On parle d’une diminution de 36 000 à 6 000. Une équipe de chercheurs a démarré en janvier 2014 une enquête sur cette dynamique de regroupements.

 

Un grand nombre des associations qui accueillent actuellement les personnes âgées et les personnes porteuses de handicap ont été créées par des congrégations religieuses, des fondations philanthropiques ou sont nées de la mobilisation collective de familles concernées. Cet enracinement explique l’attachement profond des dirigeants de chacune de ces structures, à leur identité, à leur autonomie, parfois même à leurs murs.

 

La restructuration souhaitée par le gouvernement doit tenir compte de la très grande hétérogénéité du secteur. Certaines structures n’accueillent pas plus de 12 personnes, d’autres jusqu’à 8 000 usagers ; certaines sont strictement locales, d’autres appartiennent à des réseaux nationaux. De plus, les regroupements et les fusions doivent tenir compte de ce passé très prégnant et des pratiques de management marquées par une dimension affective exacerbée.

 

 

...la principale question posée aujourd’hui est celle de la qualité et de la sécurité des usagers, en un mot, de la bientraitance.

 

L’enjeu est en partie économique, il s’agit de mieux utiliser les ressources disponibles. Mais la principale question posée aujourd’hui est celle de la qualité et de la sécurité des usagers, en un mot, de la bientraitance. Entre autres, se pose la question des petites structures isolées qui ne peuvent se doter des moyens nécessaires pour répondre à ces exigences de qualité et de sécurité.

 

Les modes de prise en charge sont aussi amenés à évoluer. Les services ambulatoires, la prise en charge des seniors dans leur cadre de vie habituel vont se développer. Cela nécessitera des organisations adaptées, une mutualisation des fonctions support.

 

Nos recherches ont comme objectif d’accompagner ces changements. Elles combinent plusieurs approches : des analyses exploratoires, des études approfondies de cas, et également une enquête nationale. Il s’agira au final d’aider les acteurs de terrain à conduire ces projets de transformation pour trouver leur place dans la nouvelle organisation, en gagnant en professionnalité, mais sans perdre leur identité, le sens de leur action.

 

 

Les auteurs de l'enquête

 

- Célia Lemaire, maître de conférences à l’EM Strasbourg,

- Caroline Merdinger-Rumpler, maître de conférences à l’EM Strasbourg

- Bruno Michel, maître de conférences à la Faculté de pharmacie de Strasbourg

- Thierry Nobre, professeur à l’EM Strasbourg

 

 

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